La Commission européenne a présenté une stratégie ambitieuse pour combler le déficit de littératie financière des citoyens de l’Union. Objectif affiché : armer les ménages face aux arnaques, mais aussi canaliser leur épargne vers l’économie réelle. Derrière ce programme éducatif, c’est toute la compétitivité européenne qui est en jeu.
Un retard criant en matière d’éducation financière
Le constat est sévère : selon l’Eurobaromètre 2023, moins d’un Européen sur cinq dispose d’un haut niveau de littératie financière – c’est-à-dire la capacité à comprendre et gérer son argent au quotidien (budget, épargne, emprunts, placements). Autrement dit, 80 % de la population reste vulnérable face à des choix financiers complexes ou à des promesses de rendement douteuses.
Cette faiblesse a des conséquences tangibles. Elle expose les ménages à la multiplication des escroqueries, notamment en ligne, mais aussi à une mauvaise allocation de leur épargne, qui reste massivement placée sur des supports sans rendement réel comme les livrets bancaires classiques. Dans un contexte où l’inflation a rogné le pouvoir d’achat, l’absence de culture financière creuse les inégalités : ceux qui savent diversifier et investir voient leur patrimoine croître, quand les autres stagnent.
Pour la Commission, il y a urgence. Comme le souligne Maria Luís Albuquerque, commissaire aux services financiers et à l’union de l’épargne et des investissements : « Les Européens pourraient obtenir de meilleurs rendements sur leur épargne, tout en soutenant le financement des entreprises de l’UE, la croissance économique et la création d’emplois. »
Une stratégie à quatre piliers
Face à ce constat, Bruxelles a dévoilé une stratégie structurée autour de quatre grands axes.
1. Mutualiser les bonnes pratiques. Les États membres sont invités à partager leurs expériences en matière d’éducation financière. Certains pays nordiques ont déjà intégré des modules de littératie dans les programmes scolaires, tandis que d’autres misent sur des plateformes en ligne ou des partenariats bancaires.
2. Lancer une campagne d’éducation financière européenne. L’objectif est de sensibiliser les citoyens à la gestion de leur argent, aux mécanismes de l’épargne et aux risques de fraude, à travers des messages simples et accessibles.
3. Suivre les progrès. Des enquêtes régulières mesureront l’évolution du niveau de connaissance financière des Européens, permettant d’adapter la stratégie.
4. Créer des comptes d’épargne-investissement européens (SIA). Ces comptes, fournis par des prestataires agréés, permettront aux citoyens d’investir directement dans des instruments des marchés des capitaux, de manière encadrée et simplifiée. Des incitations fiscales sont envisagées pour orienter les flux vers ces véhicules.
Entre pédagogie et compétitivité économique
Derrière le discours éducatif, l’enjeu est aussi macroéconomique. L’Union européenne dispose d’un taux d’épargne élevé – près de 12 % du revenu disponible brut en moyenne –, mais celui-ci est mal orienté. Là où les ménages américains ou britanniques investissent une part importante en actions ou fonds de pension, les Européens privilégient les dépôts bancaires à faible rendement. Résultat : une sous-capitalisation chronique des entreprises européennes et un retard d’attractivité par rapport aux États-Unis.
En canalisant l’épargne privée vers les marchés, Bruxelles espère stimuler le financement des entreprises, soutenir l’innovation et renforcer l’autonomie stratégique de l’Europe. Comme le souligne Wopke Hoekstra, commissaire au climat et à la croissance propre : « Avec des incitatifs fiscaux intéressants, les gens sont plus encouragés à investir dans des investissements à rendement plus élevé, ce qui nous aidera à trouver du capital de croissance et à être plus compétitifs. »
La stratégie de littératie financière apparaît ainsi comme un double levier : protéger les épargnants en leur donnant les bons réflexes, et mobiliser une épargne abondante au service de la croissance européenne. Reste à savoir si les États membres, très hétérogènes dans leur rapport à la finance, joueront collectivement le jeu.