Versement de dividendes : l’assemblée générale reprend ses droits

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Dans un arrêt du 12 février 2025, la Cour de cassation a rappelé que seule l’assemblée générale qui approuve les comptes peut décider de l’affectation du résultat et de la distribution de dividendes. Une précision technique mais lourde de conséquences, notamment lors des cessions de titres ou en présence de stratégies de transmission.

Quand la mécanique formelle des dividendes devient stratégique
La distribution de dividendes obéit à un rituel précis : une fois les comptes sociaux arrêtés, l’assemblée générale (AG) ordinaire des associés ou actionnaires décide de l’affectation du résultat. Trois choix sont possibles : mise en réserve, report à nouveau, ou distribution. Ce vote a un caractère exclusif : lui seul confère aux dividendes une existence juridique.
 

Dans l’affaire jugée par la Cour de cassation (12 février 2025, n°22-14.155), une société par actions simplifiée (SAS) avait affecté son résultat au report à nouveau lors de l’AG d’approbation des comptes. Quelques mois plus tard, une autre assemblée avait décidé de distribuer des dividendes prélevés sur ce report, peu avant une cession d’actions. Objectif implicite : transférer de la valeur aux associés sortants.
 

La manœuvre a été jugée nulle. Selon la Haute juridiction, seule l’assemblée qui approuve les comptes est compétente pour décider d’une telle distribution, même lorsqu’elle porte sur un report à nouveau. Toute décision prise par une AG ultérieure, sans lien direct avec l’arrêté des comptes, est irrégulière et donc privée d’effet.

Les conséquences pratiques pour les dirigeants et investisseurs
Cet arrêt a plusieurs effets concrets. Pour les dirigeants d’entreprise, il impose un calendrier strict : toute distribution doit être pensée au moment même de l’AG d’approbation des comptes. Attendre quelques mois pour « piocher » dans le report à nouveau expose à une annulation.
 

Pour les investisseurs et repreneurs, notamment dans les opérations de cession, cette règle devient un point de vigilance majeur. Car une distribution votée dans des conditions irrégulières pourrait être contestée a posteriori, affectant la valorisation de la société et les garanties données au cessionnaire.
 

Deux alternatives existent cependant :
• Les acomptes sur dividendes, qui peuvent être décidés en cours d’exercice par une AG, à condition que des comptes intermédiaires certifiés par un commissaire aux comptes l’autorisent.
• La mise en réserve, qui peut constituer une poche de distribution future. Mais elle pose des difficultés en cas de démembrement des titres : l’usufruitier a droit aux fruits (les dividendes), alors que le nu-propriétaire détient la substance (les réserves). Le choix d’affectation peut donc devenir source de tensions familiales ou successorales.
 

En pratique, les praticiens du droit des affaires insistent sur la nécessité d’anticiper. Dans les montages patrimoniaux, comme dans les cessions ou les transmissions, la mécanique des dividendes n’est pas un détail technique mais une donnée structurante.

Une sécurité juridique réaffirmée au prix d’une rigidité accrue
Pour les juristes, l’arrêt du 12 février 2025 n’a rien de surprenant : il réaffirme le principe de spécialité des assemblées générales et la centralité de l’approbation des comptes. Mais il rigidifie un peu plus la pratique, en interdisant aux associés de moduler librement les distributions après coup.
 

À l’heure où les dirigeants cherchent à concilier flexibilité et sécurité, ce rappel souligne que la gouvernance des sociétés reste un terrain très formel. Les praticiens y voient une raison supplémentaire de sécuriser les statuts, de recourir aux clauses d’agrément et aux pactes d’actionnaires pour prévoir les modalités de distribution et éviter les blocages.
 

Pour les cédants comme pour les repreneurs, il s’agit désormais de vérifier avec une rigueur accrue la régularité des votes de dividendes. Car une irrégularité formelle, même minime, peut rejaillir sur des montants importants, voire déclencher des contentieux coûteux.
 

Sources : Cour de cassation, chambre commerciale, 12 février 2025, n°22-14.155 ; Code de commerce, art. L.232-12 et suivants. analyse banque Richelieu.