Entre démembrement et indivision, de nombreuses successions se retrouvent paralysées par les désaccords familiaux. La jurisprudence de la Cour de cassation (janvier 2025) et les propositions législatives récentes visent à fluidifier ces situations. Mais les blocages restent fréquents, nécessitant d’anticiper dès la transmission.
Démembrement, indivision : deux cadres juridiques qui compliquent les décisions
Lors d’une succession, deux régimes juridiques dominent : le démembrement de propriété et l’indivision. Dans le premier cas, les héritiers se partagent usufruit et nue-propriété : l’usufruitier a le droit d’utiliser le bien ou d’en percevoir les revenus, tandis que le nu-propriétaire en détient la substance. Dans le second, plusieurs héritiers détiennent ensemble la pleine propriété d’un bien, sans division matérielle.
Ces deux situations deviennent problématiques lorsqu’il s’agit de prendre des décisions importantes, notamment vendre un bien immobilier. En indivision, la loi impose d’obtenir l’accord des deux tiers des indivisaires pour procéder à une vente. À défaut, il ne reste que l’action en partage judiciaire, longue et coûteuse. En démembrement, c’est encore plus verrouillé : l’usufruitier ne peut vendre sans l’accord du nu-propriétaire, et inversement.
La Cour de cassation a récemment apporté une clarification. Dans un arrêt du 5 janvier 2025, elle a jugé qu’un partage successoral pouvait être réalisé entre les seuls nus-propriétaires, même si l’usufruit subsiste. Mais elle a confirmé qu’un usufruitier isolé ne pouvait céder le bien sans l’aval du nu-propriétaire. Une décision qui illustre le casse-tête juridique de ces situations, où chacun dispose d’un droit mais aucun ne peut véritablement agir seul.
Réformes en discussion : vers plus de souplesse dans les indivisions
Face à ces blocages, le législateur tente d’introduire davantage de souplesse. Une proposition de loi adoptée en première lecture le 6 mars 2025 prévoit plusieurs innovations : création d’une base de données des biens vacants, publicité obligatoire en ligne pour les ventes envisagées, possibilité de vendre à la majorité absolue des indivisaires (plus de 50 % des droits) plutôt qu’aux deux tiers, et intervention du juge en cas d’héritiers introuvables. Le texte introduit aussi une expérimentation de « présomption de consentement » pour accélérer les procédures.
Une nouvelle proposition déposée par le député François Jolivet le 16 septembre 2025 va encore plus loin : elle rendrait obligatoire la signature d’une convention d’indivision dans les trois mois suivant l’ouverture de la succession. Objectif : anticiper les règles de gestion commune, éviter les situations d’enlisement et responsabiliser les héritiers. Le texte prévoit aussi un système d’incitations et de malus pour encourager la conclusion rapide de ces conventions.
Ces pistes reflètent une volonté politique : limiter le nombre de biens vacants ou en déshérence, qui pèsent sur le marché immobilier et sur les finances locales. Mais elles ne supprimeront pas les tensions familiales inhérentes à la gestion collective d’un patrimoine.
Anticiper en amont : la meilleure des protections
Pour les praticiens, le meilleur remède reste l’anticipation. Dès la donation ou la rédaction d’un testament, il est possible d’aménager des clauses anti-blocage, qui permettent de contourner certains effets paralysants du démembrement. La signature d’une convention d’indivision peut aussi sécuriser la gestion collective, en fixant à l’avance les règles de majorité, la durée de l’indivision ou encore les modalités de sortie.
Dans les familles où coexistent usufruitiers et nus-propriétaires, le conseil est clair : discuter en amont de la stratégie patrimoniale. Laisser la loi s’appliquer par défaut revient souvent à créer des situations d’impasse.
La jurisprudence et les projets de réforme traduisent la même idée : fluidifier les successions et permettre aux biens hérités de circuler plutôt que de rester bloqués. Mais entre le droit, la fiscalité et les tensions familiales, la voie reste étroite.
Sources : Cour de cassation, 5 janvier 2025 ; Proposition de loi adoptée en 1ʳᵉ lecture à l’Assemblée nationale le 6 mars 2025 ; Proposition Jolivet du 16 septembre 2025.