Dans un arrêt du 21 juillet 2025, le Conseil d’État a requalifié la revente de 60 bouteilles de Petrus en activité occulte relevant des bénéfices industriels et commerciaux (BIC). La frontière entre collectionneur et négociant devient plus poreuse, posant des questions pratiques pour les amateurs de vins, d’art ou de métaux précieux.
Du collectionneur au commerçant : le cas d’école du Petrus
L’affaire concernait un contribuable qui avait acheté des bouteilles de Petrus en primeur, puis les avait revendues à des professionnels du secteur sans jamais en prendre physiquement possession. En l’espace d’un mois, 48 bouteilles avaient été cédées avec une plus-value moyenne de x 3,8 par rapport au prix d’achat.
Pour l’administration, la répétitivité des opérations, leur caractère spéculatif et l’absence de consommation personnelle traduisaient une activité commerciale dissimulée. Le Conseil d’État lui a donné raison : il ne s’agissait plus d’une simple gestion de patrimoine privé mais d’une activité occulte assimilable à un négoce de vins, imposable dans la catégorie des BIC.
Ce cas illustre une logique que le fisc applique aussi à d’autres biens dits « de collection » : lorsqu’un contribuable multiplie les achats-reventes avec un objectif spéculatif, il quitte le régime favorable des cessions occasionnelles pour entrer dans celui, beaucoup plus lourd, des activités professionnelles.
Les régimes fiscaux applicables aux objets d’art et de collection
Par principe, la cession de biens meubles relève de deux régimes distincts :
• La taxe forfaitaire sur les objets précieux et œuvres d’art : 6 % pour les œuvres et objets de collection, 11 % pour les métaux précieux, auxquels s’ajoute une contribution au remboursement de la dette sociale (0,5 %). Cette taxation s’applique sans condition de durée de détention.
• Le régime des plus-values sur biens meubles, qui peut être choisi sur option, permet d’être imposé au taux de 36,2 % (19 % IR + 17,2 % de prélèvements sociaux). Il offre surtout un abattement de 5 % par an après deux ans de détention, conduisant à une exonération totale après 22 ans.
Ce dernier régime suppose toutefois de pouvoir prouver le prix et la date d’acquisition, ce qui nécessite une documentation précise (factures, certificats d’experts, etc.). En pratique, beaucoup de collectionneurs y renoncent faute de justificatifs solides.
Le cas du Petrus souligne une ligne rouge : dès lors qu’il existe une intention spéculative manifeste, les contribuables peuvent basculer dans le champ des BIC. Le différentiel est considérable : au lieu d’une taxe forfaitaire de 6 %, ils se retrouvent imposés selon un barème progressif pouvant atteindre 45 %, assorti de pénalités pour activité occulte.
Vers une redéfinition de l’investissement passion
Au-delà du vin, la décision du Conseil d’État interroge tous les « placements passion » : art contemporain, montres de luxe, voitures de collection, ou encore pierres précieuses. Si la logique de l’administration fiscale est poussée à l’extrême, tout collectionneur qui revend régulièrement avec profit pourrait être considéré comme un professionnel déguisé.
Les praticiens rappellent toutefois que le juge s’appuie sur un faisceau d’indices : fréquence des ventes, volume, durée de détention, profil de l’acquéreur (particulier ou professionnel), et surtout caractère spéculatif. Ainsi, un particulier qui vend quelques œuvres ou bouteilles après plusieurs années de détention, dans une logique patrimoniale, reste couvert par le régime des cessions occasionnelles.
Pour les contribuables, la leçon est claire : documenter et anticiper. Garder les factures d’achat, prouver la conservation physique du bien, limiter la fréquence des ventes, sont autant de réflexes qui permettent d’éviter la requalification. Et pour ceux qui envisagent une démarche plus systématique d’investissement, mieux vaut assumer un statut professionnel et se soumettre d’emblée aux règles des BIC.
La fiscalité des placements plaisir devient ainsi un terrain de vigilance. Le charme discret des caves bien garnies ou des galeries d’art privées pourrait coûter cher si l’administration y voit une activité occulte.
Sources : Conseil d’État, 21 juillet 2025 ; CGI art. 150 VI et suivants (plus-values sur biens meubles) ; CGI art. 150 UA et suivants (taxe forfaitaire sur objets précieux).