Quand l’intelligence artificielle se met au service du contrôle fiscal

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L’administration fiscale accélère sa transformation numérique : près d’un contrôle sur deux est désormais déclenché grâce à l’intelligence artificielle. Avec le décret du 31 décembre 2024 autorisant l’exploitation des données en ligne, y compris des réseaux sociaux, le fisc renforce sa capacité de ciblage. Une évolution qui bouleverse la relation entre contribuables et administration.

De la data-science aux réseaux sociaux : une décennie de mutation
Le recours à l’intelligence artificielle par la Direction générale des finances publiques (DGFiP) n’est pas nouveau. Dès 2014, la création de la Cellule de valorisation des recherches (CFVR) marquait un premier pas dans l’exploitation des données massives. En 2017, les premiers algorithmes de détection ont été utilisés pour affiner le ciblage des contrôles, avec des résultats jugés prometteurs.
 

L’année 2023 a marqué une nouvelle étape avec la création de groupes nationaux dédiés aux « hauts patrimoines », capables de croiser données fiscales, patrimoniales et financières. Puis le décret du 31 décembre 2024 est venu donner une base légale à la collecte et à l’exploitation de données en libre accès sur Internet. Désormais, les services fiscaux peuvent analyser les annonces de location, les publications sur les réseaux sociaux, ou encore les plateformes d’échange, afin de détecter des incohérences entre train de vie affiché et revenus déclarés.
Le projet de loi de finances pour 2025 fixe un objectif clair : atteindre 50 % de contrôles déclenchés par intelligence artificielle d’ici la fin de l’année. En matière d’impôt sur les sociétés, le taux avoisine déjà 70 %. Pour les particuliers, il se situe autour de 40 %, en forte progression.

Une administration dématérialisée et des contribuables sous surveillance numérique
Au-delà du ciblage, la modernisation touche aussi les procédures. Depuis le 13 mars 2025, toutes les demandes de rescrits fiscaux – ces réponses de l’administration qui sécurisent une opération – doivent être déposées en ligne. Plus de 21 000 rescrits ont été enregistrés en 2023, et la digitalisation vise à fluidifier le traitement, mais aussi à nourrir les bases de données utilisées par l’IA.
 

Pour les contribuables, cette mutation signifie que la frontière entre vie publique et vie fiscale s’amenuise. Une publication Instagram exhibant une villa de vacances ou une voiture de luxe peut désormais alimenter un faisceau d’indices utilisé par les algorithmes. La jurisprudence française avait déjà validé l’utilisation de données publiques issues des réseaux sociaux dans certaines enquêtes pénales ; le fisc en fait désormais un outil de contrôle fiscal.
 

Ce glissement pose la question de la protection des libertés individuelles. Les autorités insistent sur le fait que seules les données publiques et librement accessibles sont exploitées, dans un cadre expérimental et encadré. Mais le débat est ouvert : jusqu’où peut aller l’État dans la surveillance numérique de ses contribuables au nom de la lutte contre la fraude ?

Transparence et anticipation : les nouveaux mots d’ordre
Pour les fiscalistes et les gestionnaires de patrimoine, l’enseignement est clair : la traçabilité devient la meilleure arme de défense. Déclarations précises, justificatifs complets et cohérence entre patrimoine affiché et revenus déclarés constituent autant de garanties face à des contrôles déclenchés par des algorithmes toujours plus performants.
 

Le rescrit fiscal prend également une nouvelle importance. Loin d’être un simple document administratif, il devient un véritable airbag procédural : en cas de contrôle, la position prise par l’administration en amont protège le contribuable. Dans un environnement où l’IA accroît la probabilité d’être contrôlé, multiplier les rescrits sur des opérations complexes (apports, restructurations, montages patrimoniaux) peut s’avérer décisif.
 

Enfin, la France n’est pas isolée. Selon un recensement européen, plus d’une centaine de systèmes d’intelligence artificielle sont déjà utilisés par les administrations fiscales de l’Union. La tendance est irréversible : le contrôle fiscal se digitalise, et les contribuables doivent adapter leurs comportements.
 

L’intelligence artificielle ne change pas seulement la façon dont l’État traque la fraude ; elle transforme aussi la relation de confiance entre administration et citoyens. Une relation où la transparence devient la règle, et où l’opacité coûte désormais bien plus cher qu’un impôt dû.
 

Sources : Décret n°2024-1798 du 31 décembre 2024 (expérimentation de collecte de données publiques), PLF 2025, DGFiP, rapport sur les rescrits fiscaux (mars 2025).