Apport-cession : quand la substance prime sur la forme

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La Cour administrative d’appel de Toulouse a jugé, le 18 septembre 2025, qu’un manquement aux obligations formelles de déclaration dans le cadre d’un apport-cession n’emportait pas, en soi, la perte du report d’imposition de la plus-value. Une décision qui redonne de l’air aux entrepreneurs et investisseurs, en réaffirmant que le fond économique prime sur la stricte régularité procédurale.

Un dispositif encadré mais décisif pour les entrepreneurs
L’« apport-cession » est devenu un outil incontournable de la gestion patrimoniale des chefs d’entreprise. Il consiste à apporter ses titres à une société holding soumise à l’IS, généralement contrôlée par l’apporteur, ce qui permet de bénéficier d’un report d’imposition de la plus-value réalisée lors de l’apport. La logique est simple : tant que les titres ne sont pas cédés, l’impôt est mis en attente.
 

Mais le régime comporte une contrainte majeure. En cas de cession des titres apportés dans les trois ans qui suivent, le report d’imposition est maintenu uniquement si la holding réinvestit au moins 60 % du produit de cession dans des activités éligibles dans un délai de deux ans. Les investissements concernés doivent participer au développement économique : acquisition de titres de sociétés opérationnelles, souscriptions au capital, financement d’actifs productifs… Passé trois ans, le réinvestissement n’est plus exigé.
 

Ce mécanisme, qui incite à réinjecter les gains dans l’économie réelle, s’accompagne de formalités strictes. L’administration impose notamment une déclaration détaillée (articles 74-0 K et L de l’annexe II du CGI), destinée à démontrer que l’opération respecte bien les conditions. En pratique, ces exigences formelles étaient devenues un terrain miné pour les contribuables, exposés à une remise en cause du report au moindre oubli.

L’arrêt de Toulouse : la prééminence du réinvestissement effectif
C’est précisément sur ce point qu’intervient l’arrêt de la CAA de Toulouse du 18 septembre 2025. Dans l’affaire jugée, une holding avait bien procédé au réinvestissement de 60 % dans les délais et dans des actifs éligibles. 

 

Mais la déclaration prévue par l’article 74-0 K n’avait pas été déposée dans les formes requises. L’administration en avait déduit que le report devait être annulé, avec rappel d’impôt à la clé.
 

La Cour a pris le contre-pied : selon elle, « le défaut de respect des obligations déclaratives prévues par l’article 74-0 K de l’annexe II est sans incidence, compte tenu de l’effectivité du réinvestissement et de la nature de l’avantage fiscal ». Autrement dit, la finalité du dispositif – favoriser le réemploi productif – prime sur la lettre de la procédure.
 

Ce raisonnement s’inscrit dans une tendance jurisprudentielle plus large, qui consiste à apprécier la réalité économique des opérations plutôt que de sanctionner de simples manquements formels. Pour les praticiens, c’est une bouffée d’oxygène : la substance retrouve ses droits face au formalisme excessif.

Vers une approche plus pragmatique de l’apport-cession ?
La portée de cet arrêt est double. D’abord, il redonne confiance aux entrepreneurs qui, de bonne foi, réalisent des réinvestissements mais craignent qu’une erreur administrative ne leur coûte des centaines de milliers d’euros. Ensuite, il invite l’administration à une lecture plus équilibrée du dispositif : le report d’imposition n’est pas un cadeau gratuit, mais un outil économique conditionné à un effort réel de réemploi des capitaux.
 

Cela ne dispense pas de la prudence. Les conseillers rappellent qu’il reste préférable de respecter scrupuleusement les obligations déclaratives, car l’arrêt de Toulouse ne lie pas le Conseil d’État. Mais il marque un signal fort : tant que l’argent repart dans l’économie réelle, le bénéfice du régime doit être préservé.
 

À l’heure où de nombreux dirigeants cèdent leur entreprise dans un contexte de transmission générationnelle, la sécurité juridique de l’apport-cession demeure essentielle. La décision de Toulouse offre un garde-fou contre une lecture trop rigide du texte, et alimente l’idée d’une fiscalité qui juge moins sur les formulaires que sur l’investissement concret.
 

Sources : CAA Toulouse, 18 septembre 2025, dispositif d’apport-cession (articles 150-0 B ter CGI et 74-0 K/L Annexe II CGI).